DI U RITUNDU

During times of universal deceit, telling the truth becomes a revolutionary act. George Orwell

jeudi 3 avril 2008

On n’a pas inventé l’électricité en cherchant à améliorer la bougie !

Il y avait mercredi six prix Nobel de Physique à Gardanne aux journées Scientifiques Inaugurales du Centre Microélectronique de Provence.
Parmi eux, trois Français : Georges Charpak (1992), Claude Cohen-Tannoudji (1997) et le tout nouveau prix Nobel Français Albert Fert (2007).

Claude Cohen-Tannoudji a consacré ses recherches à la physique atomique et moléculaire, au pompage optique, aux interactions matière - rayonnement, à l’optique quantique et à l’électrodynamique quantique. C’est lui qui a établi notamment les équations quantiques du cycle de pompage optique. Il a également travaillé sur les atomes ultrafroids, notamment les condensats de Bose-Einstein de l’hélium métastable.
Pour les néophytes, le “pompage optique” est à la base des lasers, qui sont tant présents dans notre vie quotidienne (CDs, DVDs, télécommunications internet) et surtout dans l’industrie.

Albert Fert est le découvreur de la magnétorésistance géante en 1988. L’introduction de têtes de lecture à magnétorésistance géante est à l’origine de l’augmentation considérable de la densité de stockage d’information sur disque dur. Qui plus est, cette découverte a donné le coup d’envoi à un nouveau domaine de la physique : l’électronique de spin (ou spintronique). Là aussi, les retombées sont considérables. Albert Fert, c’est la miniaturisation extrème des "disques durs" d’ordinateurs…

Voici quelques déclarations que faisait Albert Fert au journal Le Monde le 24 octobre 2007 juste après sa distinction :

Auriez-vous décroché le Nobel avec le financement de la recherche sur projet que met en place le gouvernement ?

Non, s’il n’y avait eu qu’un financement sur projet. Quand j’ai commencé mon travail, une étape importante a été - après avoir établi un certain nombre de bases théoriques - de me lancer, avec un collègue de Thomson-CSF, dans un projet un peu aventureux : essayer de fabriquer des multicouches magnétiques. Ce travail a débouché sur la découverte de la magnétorésistance géante, mais, au départ, c’était un projet à risque dont personne ne pouvait savoir s’il allait aboutir. Le CNRS l’a financé, parce que cet organisme est capable de discuter avec les chercheurs et de les accompagner. Une agence de financement sur projet, elle, ne l’aurait jamais retenu : c’était à l’époque un sujet trop marginal et loin des thèmes à la mode.

Le CNRS craint d’être transformé en agence de moyens finançant la recherche menée dans les universités, sans politique scientifique autonome. Que dites-vous au gouvernement ?

Une réforme du système de recherche ne doit pas être dictée par des motivations idéologiques. Le CNRS a un rôle de coordination nationale, de stratégie à long terme, de gestion de grands instruments et de soutien de chercheurs sur des projets à risque, toutes tâches qu’il est seul à pouvoir assumer. Gardons-nous de détruire cet outil, auquel notre pays doit la qualité de sa recherche ! Les crédits n’ont pas toujours été suffisants, mais le rapport qualité-prix y est excellent. Les derniers Prix Nobel français en physique - Pierre-Gilles de Gennes, Georges Charpak, Claude Cohen-Tannoudji et moi-même - ont tous accompli une partie importante de leur carrière, soit au CNRS, soit dans un laboratoire mixte CNRS-université.

Êtes-vous d’accord avec la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, qui veut mettre la science “au service de la société” ?

Les chercheurs doivent être conscients des problèmes de société. Les progrès technologiques, les avancées médicales… contribuent bien sûr à la qualité de vie. Mais on ne peut pas imposer une finalité stricte à la recherche. Son parcours n’est jamais linéaire. Il faut laisser la recherche fondamentale se dérouler, les chercheurs suivre leurs idées, en zigzaguant, pour déboucher sur des découvertes et ensuite des applications.
Je n’ai pas démarré mes travaux en me disant que j’allais augmenter la capacité de stockage des disques durs. Le paysage final n’est jamais visible du point de départ.

Il n’est pas certain que Nicolas Sarkozy ait pris le temps de prendre connaissance des propos d’Albert Fert. Lors de la cérémonie en l’honneur du prix Nobel à la faculté d’Orsay le 28 janvier, il a, au delà de toute déférence et de toute décence, contredit lourdement Albert Fert.

Selon Le Monde (30 janvier 2008), Nicolas Sarkozy a annoncé que “Les grands organismes, tels que le CNRS, verront leurs missions “redéfinies”. Devenus “agences de moyens davantage qu’opérateurs”, ils “mettront en œuvre la politique scientifique que le gouvernement leur aura confiée”. Ce qui revient à en faire de simples exécutants, dépourvus de politique scientifique propre. “A terme, ils ne devraient conserver que les activités qui gagnent à être coordonnées au niveau national (grands moyens de calcul, grands équipements et plates-formes technologiques…), précise le chef de l’Etat. Toutes les autres activités ont vocation à se développer dans les laboratoires universitaires, dans un esprit de compétition.”

C’est l’hommage de la France du populisme et de l'utilitarisme à la créativité de ses prix Nobel : leur imposer des thèmes de recherche utilitaires. “On n’a pourtant pas inventé l’électricité en cherchant à améliorer la bougie” avait répondu, il y a quelques années déjà, Edouard Brézin, alors Président de l’Académie des Sciences.

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